Mgr Desmond Tutu prêche le mode d’emploi du dialogue aux opérateurs politiques congolais
( Par Jean Jacques NDUITA)
28/07/01
« Nous qui sommes des humains comme vous, avons réussi à dialoguer pour faire la paix pourquoi pas vous ? ». Cette interpellation, Mgr Desmond Tutu, Archevêque anglican sud-africain en séjour à Kinshasa, l’a faite aux opérateurs politiques et aux acteurs de la Société Civile, venus l’écouter hier soir au siège du Parec (Programme Paix et Réconciliation au Congo).
Mgr Desmond Tutu croit dur comme fer en la capacité des Congolais à se mettre autour d’une table pour aplanir leurs divergences pour le seul intérêt du peuple meurtri par la souffrance. S’inspirant du tragique épisode de l’apartheid avec son cortège des morts et des blessés qui se comptait par milliers et du cheminement de la lutte du peuple héroïque sud-africain, le Président honoraire de la CETA (Conférence des Eglises de Toute l’Afrique) estime que le génie d’un peuple se manifeste en temps de crise grave comme celle que traverse la RD Congo et surtout quand tout semble perdu pour le commun des mortels.
En fervent chrétiens, on peut croire parfois s’imaginer que la prière seule suffit à décanter des situations qui dépassent notre capacité d’hommes, mais Dieu qui nous veut toujours du bien et qui sait que chacun d’entre nous est un être spécial de lors qu’il constitue son sanctuaire, veut nous voir faire le premier pas quitte à ce que nous l’associions à ce processus.
Le dialogue n’est sans doute pas un exercice aisé comme l’a reconnu Mgr Desmond Tutu. Et ce, pour quatre raisons majeures. Première raison : les hommes ne perçoivent pas toujours les choses de la même manière. Ces divergences de perceptions, si elles sont mal gérées, aboutissent souvent à des tensions difficiles à apaiser. La deuxième raison, qui est la conséquence directe de la première, c’est que chacun tient à faire valoir toutes ses prétentions en passant outre celles des autres dans le processus de négociations. Celui-ci subit le contre-coup de cette conduite biaisée du dialogue dans la mesure où il s’en trouve sabordé.
L’Evêque anglican propose comme remède à cette faille la prise en compte de l’opinion de l’autre tout en tempérant ses propres ardeurs. Dans ce contexte, a-t-il ajouté, la négociation sera conforme au scénario du jeu à somme nulle, chaque partie impliquée n’ayant rien perdu.
La troisième et la dernière raison tient au fait que la négociation met toujours en face des (frères) ennemis. C’est peut-être cette considération qui rend le dialogue encore plus délicat dans la mesure où tout concourt à compliquer l’équation surtout qu’il n’est pas évident que ceux que tout ou presque oppose arrivent à un concessus sinon qu’ils parlent un même langage. Cependant, le génie d’un opérateur politique digne de l’être se mesure par sa capacité à transcender ses passions pour sauver son pays de la dérive, a renchéri l’ancien prix Nobel de la paix. Celui-ci pense par ailleurs que le silence du peuple quand les politiciens versent dans les querelles à n’en point finir ne rime nullement avec un quelconque défaitisme, mais plutôt à une observation qui cache mal son intention de sanctionner négativement ceux qui ne défendent ses intérêts le moment venu.
Quatrième raison enfin, l’attitude des faucons, toujours hostiles au dialogue pour des raisons diverses de repositionnement. Ici, l’Evêque anglican a illustré son propos par une anecdote mettant en scène des Africains se faisant la guerre dans une marmite bouillonnante en enfer, chacun cherchant à annihiler les efforts de l’autre de sortir de cette situation. Bref, tout le monde voudrait voir la situation s’empirer donnant ainsi moins de travail aux acolytes de Lucifer réduits à constater que les Africains se complaisent dans la situation qui est la leur. Et le Syndicaliste Enoch Bavela, présent dans la salle d’ajouter que ceux qui émergent sont abattus d’une balle dans la tête par les leurs.
Moralité : Le dialogue n’arrange pas tout le monde, les faucons existeront toujours, mais quand un peuple est déterminé à cheminer sur la voie de la paix, il balaie tous les obstacles qui se présentent à lui.
Il n’avait pas tort Mgr Marini, Président National de l’ECC en qualifiant l’hôte de marque des églises congolais de mage venu édifier le peuple congolais et dont la longue expérience dans la gestion des conflits a fait école.
La leçon de paix de l’ancien Archevêque de Johannesburg a séduit les politiciens et autres acteurs de la Société Civile présents dans la salle. Parmi eux, Kikata Ngima, membre du Comité Directeur du MPR, le parti de l’ancien Président Mobutu, Kabuya Lumuna, ancien porte-parole du feu Président Mobutu, Arthur Zahidi Ngoma, Président des Forces du Futur jadis passé à la rébellion armée du RCD et Bahati Lukwuebo, Président de la SOCICO (Société Civile du Congo). Certains d’entre eux entendaient sans doute faire de lui un facilitateur aux côtés ou en remplacement de l’ancien Président Masiré, c’est que l’intéressé a décliné séance tenante, craignant de court-circuiter le processus actuel, certes pas encore totalement au point, mais qui a le mérite d’avoir fait du chemin et dont l’avenir s’annonce tout de même prometteur.