Documentation et Informations Protestantes (DIP) : Mgr Marini, depuis le début des travaux, les choses ne semblent pas avancer. Quelle est votre réaction en tant qu’homme de Dieu ?
Mgr Marini Bodho. Merci beaucoup de m’avoir posé cette question très
importante. Lorsqu’il y a eu blocage, en tant que pasteur, nous avons essayé
de jouer notre rôle auprès des personnes concernées. Il fallait d’abord
connaître les raisons de ces blocages et savoir les appréhender point par
point pour qu’on puisse voir quelles actions entamer pour décanter la
situation. Ainsi nous avons établi un plan d’action afin de pouvoir contacter
les principaux acteurs du blocage pour non pas nécessairement négocier, mais
discuter avec eux des aspects qui peuvent débloquer la situation. C’est dire
que nous avions vraiment engagé un rôle pastoral, et cela a été facilité
par le fait que ce sont nos fidèles qui se retrouvent dans toutes les
composantes du Dialogue. Jusque là, nous nous rendons compte que l’église
est au milieu du village.
DIP. Comment, comptez-vous intervenir sur des questions
sensibles comme le nouvel ordre politique, pour trouver un compromis?
Mgr M.B. Je dirai que notre travail, maintenant, est de connaître
les différents agendas. Parce que si telle composante ou tel groupe bloque
quelque part, c’est parce que ses intérêts ne sont pas pris en compte.
C’est dans ce sens que nous avons pris une autre action au second niveau pour
essayer de connaître exactement la préoccupation de chaque personne et de
chaque composante. Parce que même dans les composantes, il y a des personnes
qui ont des idées sur ce qu’ils peuvent faire. Alors après cette étape,
nous avons essayé de relever les
points de convergence et de divergence. Pour ce qui est des convergences, nous
avons essayé de les évaluer et de voir s’ils tendent vers l’édification
de notre peuple. Quant aux divergences, nous continuons à en discuter et voir
comment demander aux acteurs politiques de privilégier ce qui nous unit. Autant
il y a des rapprochements autant il y a des divergences. Pour les
rapprochements, nous avons essayé de les évaluer et voir s’ils contribuent
à l’édification de notre pays. Quant aux divergences, nous en avons discuté.
Nous continuons de discuter un froidement. Nous cherchons à voir comment on
peut mettre de coté les divergences et prendre en compte les points qui nous
unissent. Cette rencontre est celle des belligérants mais, il y a aussi la
population qui attend beaucoup de ce rendez-vous. C’est à la population
qu’ils peuvent exposer leurs divergences pour dire, tel a pensé comme tel,
mais voici mon programme
d’action. Pour le moment, nous sommes dans un processus en famille, et nous
essayons de leur dire il faut abandonner ceci et privilégier plutôt cela. Dans
cette perspective, nous partons vers la réconciliation.
DIP :
Vous avez l’expérience des rencontres de réconciliation entre Congolais. On
peut citer Lovanium, la Conférence Nationale Souveraine, la Consultation
nationale... Est-ce qu’au regard de toute cette expérience, croyez-vous, à
la lumière des vingt premiers jours des travaux à la réussite de ce dialogue ?
Mgr M.B. : Je ne suis pas l’homme de l’échec ! Quelle que soit la
difficulté, nous parviendront toujours à dégager une issue. Vous voyez la
conférence elle-même, le démarrage était très difficile, très compliqué.
On voulait l’appeler même pas la Conférence nationale souveraine. Nous
sommes allés, en tant que pères spirituels, voir le Président Mobutu pour lui
dire qu’il faudrait qu’il se plie à la volonté du peuple. La terminologie,
la qualification «Souveraine» a pris au tant de jours et de semaines pour être
adoptée. Mais à certains moments, il y a eu des blocages aussi! Oui, le Président
Mobutu avait bloqué la conférence parce qu’il y avait beaucoup de ses
partisans disaient qu’il fallait terminer avec cette histoire, parce qu’on
l’insultait trop. Nous sommes allés jusqu’à Gbado Lite pour
en parler. Le Président
Mobutu a demandé à Nguz Karl I Bond de débloquer la conférence. Je me
souviens également, nous étions bloqués pendant trois jours au Palais du
Peuple. Et c’était une situation très dure. Nous avons eu des difficultés
avec la CNS, mais nous avons continué jusqu’à la fin malgré la fin
presqu’en catastrophe. Je peux aussi dire, même avec la consultation
nationale, le début aussi était très difficile. Il y avait aussi des empêchements
de part et d’autre sauf le Président…feu Président Kabila, il avait dit :
«vous pouvez aller faire ça, parce que ce sont les nationaux qui ont prévu ça.
Pas les étrangers». Alors nous avons dit, les résultats, lui seront donnés
en primeur. Les uns ont cru que nous étions instrumentalisés par le président
Kabila... Malgré cela, nous avons travaillé, consulté, rencontré des
politiciens. Nous étions à Bruxelles pour préparer Sun City. Nous étions
avec des politiciens, la Société Civile et l’opposition pacifique. Nous
avions bien travaillé et sommes arrivés aux bonnes conclusions. Les Congolais
doivent d’abord se réunir pour qu’ils parviennent à s’entendre. C’est
pourquoi je dis : «Il faut s’entendre ici».
DIP : Avez-vous une recette secrète pour la réconciliation ?
DIP :
Et la recette sera la prière ou vous en avez
une autre plus dynamique pour contourner la versatilité de l’homme
politique congolais ?
Mgr M.B. : Il y a la prière, il y a aussi l’action. Il faut prier, mais il
faut aussi aller vers eux pour essayer de diluer les attitudes négatives pour
le bien commun, en appelant tous les signataires à respecter leurs engagements.
C’est pourquoi nous avons dit : nous, en tant que pasteurs, nous avons notre rôle
à jouer à trois niveaux. Avant le Dialogue, pendant le Dialogue et après le
Dialogue. C’est-à-dire qu’à la fin du Dialogue, nous n’allons pas, nous
en tant que pasteurs nous arrêter à ce niveau là. Nous pensons qu’il faudra
continuer ces actions maintenant au niveau des composantes pour essayer de
convaincre tout le monde.
DIP :
Il est vrai que la dimension spirituelle est primordiale dans tout ce que vous
faites, mais lorsqu’on entend parfois certains hommes de Dieu dire que tout ce
qu’on fait au Dialogue ne réussira jamais, que les gens ne se convertissent
pas… Ne pensez-vous qu’il a quelque part un discours démobilisateur ?
Mgr M.B. : Non. Je crois que c’est une question de foi. Si c’est une question
de foi, en notre sens, en tant que pasteurs, nous ne devons pas compter sur
nous-mêmes. Nous devons compter sur Dieu qui a créé le cœur de l’homme.
Nous demandons à Dieu de changer le cœur de l’homme pour que nous entrions
dans une culture qui doit être respectée. La parole donnée, il faut savoir la
respecter. C’est à ce niveau que nous allons faire un travail après ce
Dialogue. Quand les cœurs sont durs, il faut prier.
Mais au même moment, il faut aussi parler avec eux. Et Dieu voit. Le
peuple voit aussi. Le peuple est arrivé à un certain niveau de maturité pour
apprécier tout ce qui se passe. Quand les politiciens vont se présenter pour
les élections, ils seront classés en hommes sérieux, de moins sérieux,
d’hypocrites et des menteurs. La population est en train de catégoriser les
politiciens. C’est pour cela que nous sommes en train de mettre en garde les
opérateurs politiques pour qu’ils ne prennent pas la population comme des
petits enfants.
DIP :
Avez-vous un message aux participants au dialogue d’une part, et à la
population congolaise de l’autre part. Quel est votre message ?
Mgr M. B. : Le message que j’adresse aux participants au dialogue celui de prendre en compte l’intérêt de la population. J’en appelle d’abord aux compatriotes au Dialogue : éviter le discours inutile parce qu’il nous reste moins de temps. Nous ne devons pas perdre ce temps. Cherchez l’intérêt national c’est-à-dire ce qui aide la population. Maintenant, il faut aider la population pour qu’elle puisse aider les opérateurs politiques lorsqu’il y aura le rendez-vous avec le souverain primaire. Qu’ils privilégient les intérêts nationaux, communautaires. Qu’ils laissent de côté les autres points, parce qu’on ne peut pas tout terminer dans un dialogue, dans un espace de temps très court. Alors, tirez vite les conclusions pour que nous puissions rentrer chez nous et faire d’autres choses avec des commissions peut-être qui pourraient continuer le travail de suivi sur tel ou tel autre point. C’est un appel d’urgence. Tournons-nous vers Dieu. Si nous demandons la grâce de Dieu pour nous aider sur des points précis, je pense que nous rendrons un bon service à notre pays. car il y a la souveraineté de Dieu sur la souveraineté nationale. Dieu contrôle tout. Il contrôle nos vies, nos pensées, nos avenirs. Dieu donne le pouvoir à qui Il veut. Il va donner, Il va léguer, Il va donner son pouvoir à quelques-uns qu’Il voit responsables. Et je crois qu’ils doivent aussi défendre ce Dieu-là, c’est important au lieu de défendre sous leur savoir-faire. Ce sont les conseils de la part du pasteur. Et il faut penser aussi aux autres points sensibles qui nous ont amenés ici. Il y a aussi des intérêts, mais il y a aussi des points sensibles qui concernent par exemple un groupe donné. Je prends par exemple le cas de la nationalité dans le Kivu et le cas de cohabitation inter ethniques; par exemple, le conflit inter ethnique dans l’Ituri. Ces choses-là paraissent être des distractions, mais c’est le soubassement de la vie dans cette partie du pays. Il faut les aborder avec toute l’attention voulue. Il faut qu’ils sentent qu’au Dialogue, on a pensé et parlé à eux. Je crois que ça va aussi les rendre heureux. D’ailleurs, pour ce qui est de la nationalité, des gens ont déjà des projets, pour dire que si nous sommes dans cette situation, cette saison de réconciliation doit porter des fruits. Il faut avoir aussi des paroles de conciliation pour arriver à la réconciliation. Le reste, on peut le formaliser sur le plan juridique par le parlement parce qu’il ne faut pas traiter tous les problèmes en amont, mais aussi en aval à deux niveaux. Pour nos populations, nous leur avons demandé, nous continuons à dire et à insister qu’ils prient. Qu’ils prient pour que le Seigneur Lui-même brise les cœurs endurcis. Qu’ils élèvent leurs prières au Seigneur qui va faire plus que ce nous sommes en train de faire ici. Donc, à ce niveau-là, je crois que je peux vraiment solliciter la patience, la prière, l’engagement de tous les gens qui sont sur le terrain, dans l’Ituri, oui tel que dans le Kivu.